Mais où va Pierre Frogier ?

Publié le par fondation-republicaine-nc.over-blog.com

Après une campagne électorale des provinciales 2009 focalisée sur un référendum en 2014 (1), puis l’idée d’un pacte républicain censé renforcer le camp loyaliste face aux indépendantistes (2) Pierre Frogier a jeté la consternation chez ses électeurs en décidant en février 2010 de reconnaître le drapeau kanak.

 

La polémique commence à peine sur ce symbole dont on se demande s’il s’agit d’un signe identitaire Kanak (dixit Gael Yanno), ou bien du drapeau indépendantiste (dixit Harold Martin).

 

Dans son annonce de février, Pierre Frogier promettait de demander aux indépendantistes de donner un sens nouveau à ce symbole (3).

 

« Pour que nous puissions l’accepter, ils doivent lever toute ambiguïté et nous l’apporter comme un signe identitaire, un symbole culturel, débarrassé des violences dont il est entaché. Il pourra alors être ce signe identitaire : représenter cette part de la Nouvelle-Calédonie mélanésienne et océanienne indissociable de son identité européenne et française. »

 

Non seulement cela n’a pas été fait, et le drapeau reste bien le symbole de la lutte pour une indépendance kanake socialiste, mais de surcroit l’Etat s’est engouffré dans la brèche pour proposer que le drapeau soit hissé sur les bâtiments de l’Etat, Haussariat en tête le 17 Juillet 2010.

Ainsi certains calédoniens favorables au lever du drapeau indépendantiste au Congrès vivent-ils le lever au Haussariat comme une trahison de l’Etat.

 

Le lever du drapeau sur les institutions, y compris les Mairies pour lesquelles des pressions ont été exercées par la direction du Rump et l’Etat, constitue une victoire politique majeure pour les indépendantistes sans aucun effort de leur part.

 

Car si Pierre Frogier a martelé que le geste permettrait d’ouvrir des discussions, le message de l’UC est clair : l’objectif reste l’indépendance. Il n’existe pas de contrepartie politique au geste.

Le PALIKA lui n’ayant pas participé aux négociations secrètes entre le Rump et l’UC n’avait déjà pris aucun engagement : il est favorable à une transition vers l’indépendance par le partage transitoire des compétences régaliennes, formule curieuse puisqu’il ne peut pas y avoir deux capitaines à bord, surtout en cas de crise.

Quant au parti Travailliste il est fidèle à sa ligne : l’indépendance en 2014.

 

Mais l’histoire du drapeau c’est l’arbre qui cache la forêt.

 

Le plus inquiétant dans l’attitude de Pierre Frogier, c’est qu’en même temps qu’il annonce avoir fait ce geste d’ouverture des négociations, il s’est déjà prononcé depuis octobre 2009 pour une forme d’indépendance-association, initiative prise sans débat interne au Rump, et pour des motifs difficilement compréhensibles.

 

Dans le discours prononcé au Congrès de Boulouparis le 24 octobre 2009 (4), une annonce est passée quasiment inaperçue et pourtant elle est lourde de sens :

 

La Nouvelle-Calédonie ne voterait plus pour ou contre l’indépendance, sous la forme de demander ou pas le transfert des compétences régaliennes.

 

Non, elle voterait pour donner librement les compétences régaliennes à l’Etat.

 

Or on ne peut donner que ce que l’on possède, ce qui veut dire que techniquement la Nouvelle-Calédonie deviendrait un Etat souverain ayant conclu une convention avec l’Etat Français.

 

Cela voudrait dire qu’au regard de l’ONU la Nouvelle-calédonie serait un Etat souverain sous protectorat, avec une convention entre Etats souverains, évidemment précaire, car révocable par chacune des parties, que cela soit constitutionnalisé ou pas. On a d’ailleurs vu sur la question du gel du corps électoral, à quel point la Constitution Française est un document très facilement modifiable par le Parlement, donc une garantie très faible.

 

Le Haut-Commissaire Yves Dassonville s’est lui-même exprimé sur la signification lourde de ce choix sur TNC.

 

La stratégie de Pierre Frogier, on l’a compris est donc de négocier rapidement avec l’UC un statut d’Etat souverain associé à la République Française, plutôt que d’aller au référendum, et c’est là l’explication du geste imprévisible d’acceptation du drapeau indépendantiste, qui lui permet de se positionner comme l’interlocuteur privilégié dans le camp « loyaliste » en coupant l’herbe sous les pieds de Philippe Gomès, jusqu’à présent le plus audacieux avec son projet de petite nation dans la grande nation.

 

Mais cette stratégie doit interpeller les calédoniens pour de multiples raisons :

 

D’abord comment gérer sérieusement une double citoyenneté en pratique puisque les Calédoniens seront entre deux citoyennetés, l’une Française, l’autre calédonienne, avec potentiellement des conflits de juridiction pour tous les aspects de la vie quotidienne. La double nationalité risque en pratique de n’être qu’un vœu pieux, avec des citoyens Français réduits au rôle de métèques et n’ayant pas accès à la propriété, ou à l’emploi.

 

Ensuite ce statut sera précaire et révocable. A partir du moment où la Nouvelle-Calédonie, en tant qu’Etat souverain sera sortie du sein de la République Française, il suffira à un mouvement indépendantiste de déclencher des troubles pour obtenir très facilement que la France se retire d’un territoire qui n’est plus le sien aux yeux du Monde et laisse les calédoniens livrés à eux-mêmes.

Il n’est pas dans la tradition géopolitique et diplomatique de la France, puissance moyenne, de gérer des protectorats, contrairement aux Etats-Unis, le gendarme du Monde, qui en ont  plusieurs dans le pacifique et à Porto Rico.

 

Enfin, et c’est le plus grave, négocier une telle solution sans demander avant ce que veulent au fond d’eux-mêmes les Calédoniens, c’est restreindre leur choix en les empêchant d’affirmer, comme ils le répètent régulièrement aux différents élections, qu’ils veulent rester Français à part entière.

Les Calédoniens doivent avoir le choix.

Un vrai choix allant de l’autonomie élargie à l’indépendance totale. Un choix totalement libre et non biaisé.

La solution négociée d’un Etat associé, disons-le d’indépendance-association, qui leur serait soumise comme la seule alternative à l’indépendance, serait tout simplement une privation de ce choix, gravé dans le marbre de l’Accord de Nouméa.

 

Alors la question mérite d’être posée :

 

Où va Pierre Frogier ?

Travaille-t-il pour l’intérêt des Calédoniens ou pour satisfaire une forme d’orgueil politique, en voulant rester dans l’Histoire comme l’inventeur d’une solution originale, quitte à faire le travail des indépendantistes à leur place ?

 

   

1 : http://www.lnc.nc/pays/186-interview/166733-le-referendum-selon-pierre-frogier.html

2 : http://www.lnc.nc/pays/politique/167321-pierre-frogier-et-la-solution-republicaine-.html

3 : http://www.lnc.nc/pays/186-interview/227609-frogier-accepte-le-drapeau-kanak.html

4 : http://a.imageshack.us/img832/3025/discoursfrogierbouloupa.jpg

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